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  • Photo du rédacteurTiphaine Dechipre

Jour 25 : End Game - Retour au bercail

L’histoire de mon retour commence le dimanche 22 mars. Anne et Marian toquent à ma porte et me disent qu’elles s’inquiètent de la situation. Elles craignent, à juste titre, que le confinement ne perdure, même plusieurs mois en Espagne. Et dans ces cas-là, lorsqu’on a une grande maison perdue dans les montagnes, avec un appartement indépendant en prime, on veut y faire venir sa famille. C’est normal, aussi il est temps de partir.

J’ai d’abord déprimé en me disant que je ne retrouverai pas la motivation de reprendre la route une fois que ce serait possible. J’ai donc étudié toutes les options pour rester. J’ai trouvé un appartement pour un mois sur Bilbao mais quitte à être enfermée entre quatre murs, autant le faire gratuitement plutôt que de payer 1 200 balles pour ça. J’ai également regardé les annonces sur les plateformes de woofing, un concept qui permet de travailler quelques heures en échange d’un logement gratuit.


J'y trouve beaucoup de parents qui recherchent une nounou capable de parler anglais avec leurs enfants. Mmmh j’hésite une seconde pensant toujours que toute expérience est enrichissante mais je reviens vite à la réalité; s’occuper de gosses non-stop pendant un mois, c’est pas pour moi. Ensuite, je tombe sur un équipage à bord d’un petit voilier qui travaille sur un projet dont je n’ai pas compris tous les contours mais qui concerne les énergies vertes. Ils recherchent des personnes ayant des compétences techniques. Ah ! Ça je n’ai pas. Ou toute personne ayant de « good vibes ». Ah, ça j’ai ! Je suis sérieusement prête à m’inscrire sur la plateforme quand ça me revient comme un boomerang : M**** qu’est-ce que je ferais du vélo ?!

Bon à ce stade, je pense avoir envisagé toutes les possibilités. Je me couche en me disant que je prendrai une décision le lendemain. Au réveil, les choses étaient effectivement plus claires, il est malheureusement plus sage de rentrer. Et dans la foulée, je n'ai plus aucun doute, je recommencerai après le confinement. Et par la grande porte, à savoir en partant à nouveau du Trocadéro et jusqu’à Madrid cette fois. Saint-Jacques sera la seconde étape, comme c’était prévu à l’origine. J’ai hâte !

Mais avant ça, encore faut-il rentrer. Et croyez-moi, ce ne fut pas une mince affaire !


Postulat de base : soit je pouvais regagner la frontière en trouvant un train dans lequel je pourrais monter avec le vélo, soit je devrais pédaler pendant deux jours. La recherche sur internet commence, je galère, plusieurs compagnies différentes, ne sachant laquelle choisir. Je teste un peu partout, aucun train, nulle part. Bah forcément ! J’aurais mieux fait d’utiliser Google Map, lui au moins te donne les changements de trains contrairement aux sites des vendeurs. Ils devraient y penser quand même !

Ainsi, je crie Anne et Marian à la rescousse, je monte chez elles et nous voilà pendant deux heures à étudier toutes les combinaisons possibles et inimaginables. Une fois le trajet arrêté, elles m’expliquent que je ne peux pas réserver en ligne, que ce sera forcément à la station. Je vais donc devoir parler en espagnol, d’accord ! Elles m’écrivent mon petit speech sur un bout de papier, je m’entraîne. Mon accent laisse à désirer puisque le petit frère de Anne rigole en m'entendant. Pour lui, je viens de prononcer le mot "galleta" signifiant "gâteau" plutôt que le mot "trajeta" signifiant "carte". Voilà qui est fait, ça m’évitera au moins d’avoir l’air bête devant mon agent de gare qui se serait demandé pourquoi je voulais lui acheter des P'tits Lu.


Je dois en effet prendre une carte à recharger appelée "Barik". Mais elles me préviennent que je ne dois pas mettre trop dessus car elle ne me sera plus d’aucune utilité en France. Je m’en serais douté mais de toute façon je reviendrai ! Elles réalisent alors que mon périple n’est que partie remise et me montrent tous les endroits qu’elles me feront visiter lors de mon prochain passage.




D’abord, il y a cette chapelle sur l'ilôt de Gaztelugatxe. Un lieu de tournage de Game of thrones, élément intéressant en effet mais pas l’essentiel. Je suis davantage attirée par les 241 marches à gravir pour atteindre cette cloche. La coutume veut qu'on la fasse sonner trois fois en faisant un vœu.

Ensuite, il y a « The left wave » à Mundaka, lieu incontournable du surf à ce qu’il parait. C’est une vague venant de la gauche, c’est tout ce que je peux vous en dire pour l’instant. Et je crois que c'est tout ce qu'il y a à en dire en fait. Mais je veux quand même la voir et pourquoi pas, la surfer !

Et enfin, il y a Puppy !! C'est le nom de leur chien donc forcément je suis perdue. Elles me montrent des photos et je vois ce chien géant composé de fleurs, une installation réputée devant le musée Guggenheim à Bilbao.




Le musée, je comptais bien le faire mais effectivement, je n’avais pas entendu parler de l’existence de Puppy. C'est désormais chose faite !

Revenons à nos moutons ou plutôt à nos trains. Non seulement elles m’expliquent sur quel quai je devrai attendre mon premier train pour Lemoa mais voilà qu’Anne se met à me mimer, le fait que je doive prendre l’ascenseur une fois à Lemoa. Je rigole en disant que j’avais bien compris l’idée quand elle avait utilisé le mot anglais.

Enfin, elle m’envoie le plan pour me rendre à la gare de Gernika, à 15 minutes de chez elles, sur Google Map. Je dis que l’adresse suffira car mon application n’a pas fonctionné jusque-là. Anne me dit que ce n’est pas possible, que ça marche partout normalement et se rappelle que lors de son dernier voyage, elle avait dû bidouiller un truc sur son portable. La voilà en train de chercher dans ses paramètres, l’icône que je devais trouver. Rien y fait. Ne vous donnez pas cette peine, Simon m’a déjà dit à quel point j’étais nulle avec un téléphone entre les mains. Quoi qu’il en soit Anne reconfigure la langue de son téléphone et me dit que je dois trouver « donés celularéès ». Données cellulaires vous l’aurez compris.


Ces deux heures se sont davantage déroulées en espagnol qu’en anglais mais on riait quand même toutes les trois. Force est de constater que le rire se passe de traduction. Les émotions n’ont pas besoin de mots, elles sont universelles.


Ça y est, muchas gracias por todo, il est temps de se dire au revoir. Cette nuit là, je profite d'un ciel comme je n'y avais pas encore eu droit jusque là. Aucun nuage, uniquement les milliers d'étoiles que l'on voit davantage à mesure du temps que l'on passe à les contempler. J'hésite à prendre une photo mais on y verrait rien et puis il y a des choses que l'on préfère garder rien que pour soi.


Le lendemain matin, le temps de tout préparer et de laisser un appartement en ordre, il est 12h12 lorsque je prends cette dernière photo :




C'est parti, de retour en selle depuis plus d'une semaine. Ça faisait un bien fou. J’étais heureuse dans cet endroit mais en fait ce n’est rien comparé au bonheur de tracer la route. En descendant de ma montagne, les gens me regardaient comme si j'étais une extra-terrestre. J'avais envie de leur crier "c'est bon je ne suis pas stupide, on ne dirait pas comme ça mais je rentre chez moi !".


Arrivée en ville, première voiture de police. Un agent me regarde, je suis prête à dégainer mon laisser-passer. Mais non, j'ai juste le droit à un grand sourire et c'est tout. Je lui rends son sourire en riant intérieurement. S'ils étaient tous aussi sévères, je n'allais pas avoir de gros problèmes avec les forces de l'ordre.


A la gare de Gernika, je suis déçue : personne à qui réciter mon petit speech, seulement une borne. Mon accent ne l'a pas dérangée, aussi elle me donne mon billet de train. Finalement la carte à recharger, ce sera pour la prochaine fois. Je mets mon petit ticket dans une poche de mon sac à dos. Je ne le savais pas à ce moment-là, mais c'est ce qui me sauvera la mise en fin de journée !


Le désamour qu’a la ponctualité à mon égard me fait louper mon train d’une minute. Ce n'est pas grave, je n'ai qu'une demi heure à patienter pour attraper le prochain. C'est étonnant car l'Espagne est bien plus stricte avec ses habitants en ce qui concerne le confinement mais pourtant, absolument tous les trains sont maintenus. Nous n'étions que huit dans ce train au plus fort de l'affluence, aucun problème donc pour respecter les distances de sécurité. Autre avantage, contrairement à nos trains français, je peux mettre mon vélo absolument partout, il y a des emplacements réservés dans tous les wagons sauf, je l'apprendrai plus tard dans la journée, dans le premier et le dernier wagon. Chose importante aussi, ces trains dont la modernité tapait à l’œil, ne souffraient d'aucune marche ! Il suffisait de rouler pour monter à bord, ici la galère de porter un vélo, on ne connaît pas.


C'est parti pour la première étape du trajet. Direction Bilbao, je regardais alors les paysages que je n'avais pas encore eu l'occasion de voir. Puis, après le changement à Lemoa, où je croise soit dit en passant l'ascenseur parfaitement mimé par Anne, je prends la direction inverse, vers San Sebastian, étape par laquelle je suis passée lors de mon premier jour en Espagne. La veille l'occasion m'a également été donnée d'apprendre que San Sebastian et Donostia ne forment en fait qu'une seule et même ville, le premier étant son nom espagnol et l'autre son homologue basque.




Durant ce trajet, je ne fais qu'une chose : regarder par la fenêtre. Comme dirait Simon, "c'était que du gavage". J'en prenais plein les yeux, et je ne parvenais à regarder ces paysages sans mal au cœur, que grâce à la certitude que j'allais bientôt les retrouver. La journée se passe sans encombres. Je m'attendais à devoir affronter un parcours du combattant ce jour-là, à devoir gérer des situations en espagnol. Mais en fait, non. Un seul obstacle : un tronçon de la ligne était fermé pour travaux, on devait donc embarquer à bord d'un bus. Heureusement que Marian avait appelé la compagnie de train pour leur demander s'ils étaient maintenus car l'interlocutrice aura ainsi pu nous prévenir. Ça aura été bien pratique car une fois sur place, rien. Aucun panneau indiquant que l'on devait descendre du train, aucune annonce dans un haut-parleur, aucun message sur les écrans de ce train high-tech. Je suis donc la foule, que dis-je ! les trois pèlerins qui m’accompagnaient, et me retrouve dans ce bus. Je galère à soulever mon vélo pour le ranger dans le coffre, je monte à bord et le chauffeur s'assure alors que je souhaite bien me rendre à San Sebastian. Je me dis intérieurement qu'il aurait été plus opportun de me poser la question avant que je ne me batte avec mon vélo mais soit, je suis enfin installée.






Hasard rieur comme toujours, j'effectue ce changement dans la ville de Deba où j'avais fait ma première et dernière halte espagnole avant Marmiz. Me voilà ainsi, confortablement installée dans ce bus qui allait emprunter précisément la route sur laquelle j'en avais tant bavé dix jours auparavant. Hasard rieur, destin moqueur, je ris avec eux de bon cœur.




Une fois le tronçon en bus achevé, je remonte dans un train. J'arrive enfin à San Sebsatian. A ce stade, il n'était pas encore sûr que je trouve un train pour Irun. Je sors avec le vélo, je vois écrit Irun sur un panneau sur le quai opposé. Le train est déjà là, je fonce et suis contente de monter à bord. A cet instant, je ne me suis sentie ni plus légère, ni plus idiote. Et pourtant !


Cinq minutes avant d'arriver à Irun, je me rends compte que j'ai oublié mon sac-à-dos dans le train précédent. Sac-à-dos dans lequel se trouvent mon ordinateur, mon porte-feuille et par là donc ma pièce d'identité, mon autorisation de circuler et ma carte bancaire. J'appelle immédiatement le service des objets trouvés, je tombe sur quelqu'un qui parle anglais, alléluia ! Oui sauf qu'on est dans un train dans les montagnes espagnoles, la communication a été coupée ! J'appelle encore une fois Marian et Anne à la rescousse, elles appellent. Le glas tombe : ils ne récupèrent aucun objet oublié dans les trains dans ce contexte de Coronavirus. La compagnie se dédouane de toute responsabilité. Anne me dit que ma seule chance, c'est qu'un passager l'ai emmené à la police.


A cet instant, je ne suis pas stressée. Rien ne sert de l'être, la situation étant ce qu'elle est. Autant être fataliste et trouver le moyen de gérer la situation au mieux. Vu de ma porte, trois options. Soit le sac allait être volé, soit il allait être emmené à la police. Ces deux options ayant peu de chances de se réaliser puisqu'en ce moment, mes congénères ne redoutent qu'une seule chose : que je puisse avoir postillonné sur mon sac. Ainsi donc, il reste la troisième option, plus vraisemblable, mon sac va tourner sur cette ligne à bord de ce train ad vitam æternam.


Une fois à Irun, je m'apprête donc à sortir pour foncer tout droit à la police, et là ! Bloquée ! Et bien oui, il me faut mon ticket pour passer le portique et retrouver ma liberté. Je vois le chauffeur de train sortir de sa cabine pour regagner celle de l'autre côté du train. Je lui explique que j'ai oublié mon sac à dos et que je ne peux donc pas sortir. Il me propose de m'ouvrir et là, éclair de génie, peut-être qu'il peut appeler ses collègues ! Et bien oui, le voilà pendant dix bonnes minutes en train d'appeler ses collègues, de décrire le sac, de croiser les doigts pour qu'ils mettent la main dessus. Bonheur quand il m'adresse un pouce en l'air en signe de victoire. Ils ont mon sac, je n'ai qu'à patienter sur ce même quai que le train de 18h50 me le ramène. Ainsi donc, j'aurais eu mon billet de train, je serais sortie, serais allée voir la police et l'histoire aurait été différente. Avec une fin moins heureuse sans doute.


Si vous voulez la version vidéo, c'est possible aussi, en trois parties :





Oui je sais, la pause est magnifique !



Je remercie mille fois ce conducteur de train et le laisse partir, c'est vrai il a des horaires à respecter. Je vois enfin le train de 18h50 rentrer en gare, je fonce vers la cabine du conducteur, il m'oppose une main et un air sévère. Je me dis alors que la situation peut être totalement différente en fonction de la personne sur qui on tombe. Qu'est-ce qui fait que vous tombez sur une personne qui accepte de vous aider, sur LA bonne personne ? Le karma, la chance, Dieu, le pur hasard ? J'ai mon avis. Quoi qu'il en soit, je remercie ma bonne étoile et promet de ne plus jamais oublier mon sac-à-dos. Une chance insolente comme ça, on ne joue pas avec.


"You're a lucky girl", c'est justement ce que m'a répondu Anne quand je lui ai annoncé la bonne nouvelle. Elles étaient justement en train de faire une réclamation incendiaire sur le site de Euskotren.


Armée de mon billet fraîchement retrouvé, je l'introduit dans la machine. "Billete caducado" (c'était pas exactement ça mais vous avez compris l'idée) Bah voyons ! Je suis donc à nouveau obligée de faire appel au conducteur. Cette fois-ci il se déride et me souhaite bonne chance pour rentrer chez moi.


Je n'ai que quelques centaines de mètres à faire pour arriver à la frontière. Je passe d'abord à côté du barrage espagnol. J'hésite, je ralentis au cas où ils me voudraient quelque chose mais non, ils me regardent en souriant en me faisant signe de continuer. C'était un sourire qui voulait dire "Allez gamine, on se doute où tu veux aller, rentre chez toi !".


Je vois alors au loin la France ! Ou plutôt, une voiture de police française, mais qu'importe à ce stade, c'est le même bonheur. Il y a deux agents au bout et trois voiture devant moi. Je m'arrête donc à la suite et compte bien attendre mon tour. A ce moment, l'agent sur la droite, la cinquantaine, fière allure, me fait un grand sourire et me fais signe d'avancer. Je lui tends mon autorisation de circuler sur laquelle j'ai rajouté une case "Rentrer à la maison". Il ne la regarde même pas, ce qu'il veut c'est mon histoire. En somme, qu'est-ce que je fais là ?


- Mais vous venez d'où comme ça ? De Marmiz, j'étais sur le chemin de Compostelle quand le confinement a commencé.

- Mais vous êtes partie d'où ? De Paris. Je venais de fêter mes mille kilomètres quand j'ai été stoppée à Marmiz.

- 1 000 kilomètres ! Mais vous êtes partie quand ? Le 3 mars.

- Mais ça vous fait une moyenne de combien de kilomètres par jour ? Oula, c'était cent les bons jours, 60 les mauvais.

- Les mauvais, les mauvais ! Moi, même avec mon vélo de route, je les fais pas si facilement. Et vous, vous êtes en VTT ?! Et oui, je ne savais pas sur quels genres de routes j'allais tomber.

- Mais vous êtes partie seule ? Non j'étais avec un ami, on voulait faire Paris - Madrid. Vu la situation, il a fait demi-tour à la frontière et moi j'ai choisi d'avancer vers Compostelle plutôt que Madrid.

- Et vous n'avez pas été embêtée par des réactions des habitants ? Non, pas du tout, ils venaient même spontanément vers moi pour me proposer leur aide alors que j'en avais pas besoin.


Devant son air étonné, j'avance un argument que l'on m'a souvent sorti durant ce périple : "T'es une fille, ça aide". Il me met gentiment en garde, je ne dois pas en jouer. Loin de moi cette idée mais c'est vrai que si ce policier lit le passage concernant mon sac-à-dos, il rira sans doute. Car oui, voilà le plus beau, il voulait connaître la suite de l'aventure, ça tombe bien je raconterai tout sur mon site internet ! Il dégaine son téléphone et trouve mon site. Si vous me lisez monsieur l'agent, sachez que ce fut un bonheur d'être accueillie en France par vos soins.


J'avance donc dans Hendaye, m'arrête faire des courses et compte bien regagner le Airbnb que l'on avait déjà loué avec Simon. J'ai eu de la chance d'ailleurs de retomber sur Eva car d'autres hôtes de l'application m'avaient répondu qu'ils n'avaient plus le droit de recevoir qui que ce soit. Je m'approche de l'arrivée vers 19h30, passe par un autre chemin que ceux que nous avions déjà emprunté à l'aller. Et là ! Hasard rieur, destin moqueur. Deux intersections avant l’arrivée, j’emprunte la rue Walt Disney ! J'ai tout à coup le sentiment que tout ça ne fut qu’une vaste plaisanterie. Je suis attendue par Mickey à la fin de ce coup d’essai, ce brouillon. Ou comment l’univers peut vous faire un pied de nez. Ce n’est pas grave, la prochaine version sera d’autant plus aboutie !

En ce mardi 24 mars, je dors en France et cette fois, exit le canapé, je prends le lit. Le lendemain matin je trouve des trains Bordeaux-Paris mais aucun pour m'emmener à Bordeaux. Que ce soit au départ de Saint-Jean-de-Luz, Biarritz, rien y fait, ça va être la galère pour atteindre Bordeaux. Service de location de voiture fermé, Blablacar, qu'est-ce que j'espère avec un vélo, Blablabus, RAS ! Là encore, trois options. J'appelle mon frère à la rescousse pour qu'il vienne me chercher depuis Saintes. Il appelle la police pour s'assurer qu'il puisse venir, leur réponse : "elle est en bonne santé, qu'elle pédale !". Bah oui, ça se tient, c'est d'ailleurs l'option deux. 220 kilomètres, soit j'étais déterminée et j'allais pouvoir le faire en deux très grosses journées, soit je le faisais en trois. Mais là, paye ta galère pour trouver les Airbnb. La connexion internet déconne dans le logement, ça suffit à éradiquer le peu de motivation que j'ai. Il faut dire que c'est très simple de pédaler vers les horizons qui nous font rêver, c'est beaucoup plus compliqué de le faire pour un trajet retour que l'on prend à contre-cœur. Je me rabats donc sur la troisième option : un taxi.

Je perds un bras dans l'opération mais gagne un trajet grand luxe : mon vélo rentre dans le van, il fera toute la route sous mes yeux devant la première rangée de sièges. Je suis installée sur la deuxième, restrictions Covid obligent. Et en prime, je peux profiter d'une agréable conversation durant les deux heures de trajet. Bertrand me demande ce que je fais dans la vie, je lui dis que je veux devenir auteure, il me répond que c'est pas facile d'en vivre, je lui demande depuis combien de temps il est taxi, il me répond que c'est depuis que ses rêves d'auteur ont été anéantis. Je flippe une seconde, il rigole, j'avoue la blague était franchement bien trouvée. L'occasion de passer en revue les différents métiers que nous avons exercé dans nos vies, de nous interroger sur la façon dont le crime organisé pouvait s'adapter à la situation et de nous demander si le monde allait changer suite à cette crise. Bref, une conversation captivante jusqu'au point d'arrivée à la gare de Bordeaux. Si un jour, vous avez besoin d'un taxi à Hendaye, appelez BIP TAXI !


Arrivée dans la gare, je prends mon billet à la borne, mon train direction Paris arrivait dans moins d'une demi heure. Dans le hall, les distances de sécurité peinent à être respectées mais sur le quai, on se rend compte que l'affluence est vraiment minime :



Je monte à bord. Simon m'avait prévenue, c'est royal ! Une petite plateforme pour mettre le vélo, une ceinture pour l'attacher et en avant Guingamp !


Une fois à Paris, je sors de la gare. Les alentours de Montparnasse sont déserts, ça fait bizarre de voir la ville ainsi mais pourtant, je l'aime comme ça aussi. Je devais rejoindre le 18ème arrondissement où habite Niko qui m'hébergeait pour une dernière halte avant l'Alsace. L'occasion de récupérer des affaires abandonnées chez lui entre la remise des clefs de mon ancien appart le 1er mars et mon départ pour l'Espagne le 3.


Je traverse les beaux quartiers.




Pas un chat autour de Notre Dame, pas non plus vers la mairie de Paris, ni vers le Centre Pompidou. Pourtant des voitures de police ça et là, qui ne servent que pour le décor ou pour les rares personnes qu'elles arrêtent. Je croise une voiture de la Ville de Paris, proposant assistance à des SDF, une image comme il fait du bien d'en voir.


Par contre, arrivée dans le 18 ème, la Goutte d'or, quartier qui craint pour l'information des provinciaux, on rentre dans une autre dimension. Un monde fou dans les rues, des dizaines et des dizaines de personnes, des gens en groupe vivent comme si rien ne se passait. En somme, les zonards continuent de zoner. Et pas une voiture de police pour les verbaliser, c'est à se demander s'ils n'entendent pas laisser le virus se propager tranquillement dans ces rues.


Et là, une situation qui me met encore mal à l'aise maintenant. Un gars est en train de squatter avec ses copains, il a les pieds sur la piste cyclable, je devrais donc passer sans pouvoir laisser un mètre de distance mais bon il porte un masque. Il me voit au loin et me fixe avec un regard que je n'apprécie guère. Une fois à sa hauteur, il enlève son masque tout en continuant de me fixer. Que quelqu'un m'explique pourquoi il a retiré ce fichu masque ! Franchement, c'était quoi le but de l'opération ? Un viol bactériologien ? Dégoûtée, je poursuis ma route alors que je n'avais envie que d'une chose, lui apprendre la vie et l'éducation.


J'arrive enfin à destination. Ce matin, vendredi 27 mars, je pars chargée d'un bagage en plus, vers la gare de l'Est. Au début du quai, un peloton de gendarmes. On aurait davantage dit des guerriers tant leur équipement était impressionnant. Personne ne me parle, ils semblent occupés avec un passager qui fait un scandale à quelques mètres. Je compte bien passer mais bien sûr, on m'arrête. "Billet de train, autorisation et pièce d'identité s'il vous plaît". Bonjour ! Cet officier peu commode n'a pas envie d'être agréable, soit, je suis en règle alors je le laisse analyser mes papiers autant qu'il veut. Là un autre agent, beaucoup plus gentil pour le coup, m'indique que je ne pourrai pas monter avec le vélo. Ne saisissant pas qu'il s'agissait d'une affirmation plutôt que d'une crainte, je lui répond que si, j'ai pris un billet avec un vélo non démonté.


"Ah bah je vous laisse voir ça avec la contrôleuse alors mais il semblerait que ce soit mal parti". Et m*****, la SNCF m'aura tenue en haleine jusqu'au bout. La contrôleuse s'approche de nous et me dit que ce n'est pas possible. Je lui oppose mon billet, elle le regarde, mince doit-elle penser. Ah mais quand avez-vous pris votre billet ? J'ai vu à son visage qu'elle se pensait sauvée. Manque de bol, je l'ai pris hier soir, bien après 17 heures, horaire où tous les trains sont confirmés pour le lendemain. Elle m'explique qu'ils ont changé de train. "D'accord mais en fin de compte peu importe, je dois rentrer et j'ai un vélo. Partant de là, qu'est-ce qu'on fait ?". Elle a peut-être une solution à me proposer, elle n'a pas vu de fauteuil roulant, il semblerait donc que je puisse squatter l'emplacement qui leur est réservé. Le policier me dit qu'il croise les doigts pour moi et me laisse suivre la madame, qui est très sympathique au demeurant.


Nous remontons tout le quai. Ce n'est pas ce train-là, c'est le suivant sur deux niveaux. Elle m'apprend qu'il y aura de plus en plus de ces trains sur la ligne Paris-Strasbourg, or qui dit train sur deux niveaux, dit pas d'emplacements vélos. Ils devront être démontés. De plus, elle m'apprend qu'avec la situation sanitaire actuelle, ils doivent faire attention au nombre de réservations. Aujourd'hui, nous serons 170 pour un train pouvant accueillir 550 passagers.


J'ai à peine le temps de monter mon vélo à bord, que le signal de départ retenti. Je n'avais pas conscience que le temps était vraiment compté. J'installe le vélo et m’assois à côté de lui. Nous ferons donc le dernier bout du voyage, surclassés en première.


Arrivée à la gare de Strasbourg, pas un chat, pas un policier. Je monte sur mon vélo pour les deux derniers kilomètres de cette aventure. Je passe sur un pont, il est là en contrebas. Avec son air triste et délaissé, il me fait de la peine mais il me donne quand même le sentiment d'être à la maison :



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