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  • Photo du rédacteurTiphaine Dechipre

Jour 14 & 15 : Marmiz. Jour 1 & 2 du confinement.

Le matin du 16 mars, je me lève dans ce magnifique appartement en étant heureuse de ne pas prendre la route tant il pleuvait des cordes. C'est bizarre puisque jusqu'à présent rouler sous la pluie me faisait rire. Mais partir sous la pluie demande une volonté supplémentaire, plutôt que de se la prendre en cours de route.


Je demande à Anne (à prononcer Anné) si sa proposition de m'emmener en ville tient toujours. C'est bon ! Une heure le temps de me préparer et d'avaler un petit déj et je la retrouve de l'autre côté de la maison. Elle m'apprend que la situation a empiré, que je n'aurai même plus le droit de circuler à vélo, quand bien même je suis seule. Elle m'annonce qu'après le supermarché, nous irons au poste de police. L'idée me parait formidable.


Le temps de la route, j'apprends qu'elle est étudiante en deuxième année d'économie à Bilbao, soit à quarante-cinq minutes en voiture. Elle fait donc la navette tous les jours, sauf en ce moment forcément. Les profs leur envoient des centaines de pages de cours sur internet, elle se sent dépassée tant elle estime avoir besoin des explications pour le comprendre. Je suppose qu'elle a raison sinon le métier de prof n'existerait pas. Par ailleurs, elle accueille les clients Airbnb car ses parents ne parlent pas anglais. Elle gère très bien et ça me fait rire d'entendre parler anglais avec cet accent débordant de soleil.


Nous arrivons devant le supermarché, le Dia, une institution dans le coin. Trois personnes attendent déjà devant la porte. Force est de constater que la meilleure des volontés est terrassée par un élément bête comme chou: la pluie. En effet, la distance de sécurité d'un mètre minimum n'était pas du tout respectée puisque les gens voulaient rester sous le auvent du magasin.


Anne m'apprend que sa maman travaille ici. Cette dernière l'aperçoit de l'autre côté de la baie vitrée et lui fait un grand sourire. Anne me montre du doigt, Marian comprend donc que je suis leur invitée. Nous nous étions en effet encore jamais croisées. Elle m'accorde également un grand sourire. Le store en fer monte et descend après chaque passage d'un client, la caissière se transformant alors en videur.


Devant l'entrée, se trouve le kit du parfait client discipliné. Première étape : se passer du gel hydroalcoolique. Deuxième étape : mettre des gants. Troisième étape : attendre sagement son tour. Je vois les gens sortir au compte-goutte du supermarché et jeter leurs gants dans la petite poubelle à rabat placée à côté de la tablette où se trouvaient le gel et la boîte de gants. Ils n'osent même pas enfoncer leurs gants usagés dans ladite poubelle, ça m'horripile, et le mot est faible. Ils préfèrent faire comme tout le monde et continuer cette tour de bouts de plastique en la touchant le moins possible comme s'ils jouaient au Jenga, peu importe qu'à un moment cette tour ne s'effondre. A ce moment là, soit ce plastique s'envolera dans la nature, soit un employé du supermarché devra les ramasser. Ou comment l’égoïsme des gens crée une situation fâcheuse pour autrui. Cet exemple est mineur mais si déjà à ce stade, l'on n'est pas capable de penser aux autres, imaginez dans une autre proportion.


Mon tour est venu, je passe sous la porte en fer et profite d'une situation rare, avoir un supermarché rien que pour moi. Ou presque, nous devons être trois clients dans cette superficie de 100 mètres carré. Je tombe en premier lieu sur des viennoiseries, ça se poursuit avec les fruits et légumes. L'étale en a pris un coup. Il est clair qu'elle n'était pas remplie à l'ouverture des portes. J'y trouve quand même les pommes ainsi que les kiwis que je cherchais.


Je poursuis mon chemin et tombe sur le rayon des vins. Je compte bien tracer ma route mais ma curiosité est quand même piquée. Vais-je trouver un côte de Gascogne ici ? Non, mais il y a tout de même un vin blanc "semidulce" qui devrait faire l'affaire, histoire de fêter mon millième kilomètre. Beaucoup de chardonnay et là tandis que mes yeux continuent de se balader sur les étiquettes, une vision d'horreur !





Oui, vous lisez bien, il y a bien écrit Riesling ! Du riesling chinois ! Je sais bien qu'un cépage même s'il trouve son origine en un lieu précis (en l’occurrence les abords du Rhin), peut être planté n'importe où, mais quand même, ça fait mal de voir notre identité alsacienne "enchinoisée". Et de plus, ça fait mal de voir qu'en Espagne, le choix est fait d'importer une contrefaçon qui vient de l'autre bout du monde plutôt que de proposer l'original mis en bouteille à seulement mille kilomètres. Où va le monde ?! Bah vers la propagation d'un virus qui nous terrasse tous, on y est !


Le reste de mes découvertes est plus ludique. Des spaghettis noirs, je suppose qu'on en trouve aussi en France mais je n'avais jamais fait attention. Ils mettent une crevette sur la photo pour qu'on comprenne l'intérêt de la chose. Je me dis qu'avec mon pesto rosso ça ferait joli mais à 7 euros le kilo, ça fait cher le contraste de couleurs. Les pâtes normales feront l'affaire, je remarque en tous cas que le rayon en a lui aussi pris un coup. Je continue vers la viande, désirant du bœuf haché dans mes pâtes. Je me suis emballée, les étales sont carrément vides, il faudra se satisfaire de "pollo". Au rayon gâteaux, je trouve ceux que Niko (webmaster en chef) adore, les Oreos enrobés de chocolat blanc. 1,80 alors qu'ils sont à 3,50 à Paris, je t'en envoie un stock si tu veux !


Je passe à la caisse, le rideau de fer monte, je sors, jette mes gants en appuyant jusqu'au fond dans cette satanée poubelle et retrouve Anne qui m'attendait patiemment dans la voiture. Direction la police !


Nous entrons dans le commissariat, personne à l’accueil. Un agent de police d'une cinquantaine d'années sort de son bureau et s'approche de nous. Anne lui explique ma situation et demande si je peux poursuivre ma route. Toute la conversation se fait sous mes yeux sans que je ne puisse rien comprendre avec certitude, seulement des interprétations, des suppositions. Une chose est sûre néanmoins, ce monsieur est gentil et a de la sympathie pour moi, ça se ressent.


Un muchas gracias puis nous sortons. Anne me rapporte ses propos : je devrais jouer avec ma chance. Si je tombais sur lui ou sur certains de ses collègues, ils me laisseraient passer car ils respectent les pèlerins de Compostelle. Il suppose que ça se passerait ainsi dans tout le pays Basque, soit encore un peu après Bilbao. Mais pour ce qui est des prochaines régions que je traverserai, il est moins confiant. Il s'agira d'un autre type de police, beaucoup plus rigide qui suit les instructions du gouvernement de façon bête et disciplinée. C'est à la tête du client, et c'est selon l'appréciation de mon bourreau mais je risquerai une amende pouvant aller de 300 à 600 euros. Le policier qui se trouve face à moi est navré mais il ne peut me remettre un bout de papier m'autorisant à continuer, il n'en a pas le pouvoir. Personne ne l'a.


Dans la voiture, je dis à Anne que je vais prendre deux nuits de plus sur place pour réfléchir et surtout pour me permettre d'apprendre à expliquer ma situation en espagnol. La police effectivement ne se donnera pas la peine de converser avec moi en anglais. Je fais une halte au distributeur pour ne pas passer par l'application Airbnb et nous rentrons. Je continue ma réflexion et une chose est sûre: je ne peux me permettre de rester dans ce logement durant deux semaines, c'est bien trop dispendieux. J'hésite entre trouver moins cher à Bilbao et y rester le temps du confinement, ou bien tracer ma route en comptant sur ma chance.


Très vite cette dernière option est inenvisageable car irresponsable. En effet, quand bien même je veux avancer, pour avoir du contenu à relater et tout simplement pour me gaver de paysages magnifiques, je dois me rendre à l'évidence : j'ai traversé et je traverserai encore des zones rurales reculées. Le virus n'y est sans doute pas. Personne ne le saurait jamais car je n'ai pas les symptômes de la maladie mais je pourrais très bien propager ce satané virus. Je ne peux pas me permettre d'avoir ce doute sur la conscience. Aussi je dois trouver un logement dans lequel m'enterrer le temps de la période d'incubation de 15 jours.


Je suis au téléphone lorsqu'on toque à ma porte. Anne et sa maman Marian, venaient me rendre visite pour me prêter un ordinateur dont elles n'avaient pas besoin. Je leur dis que c'est adorable mais que je dois être la cycliste la mieux équipée en la matière, mon PC me suit partout. Elles me donnent également un bout de papier. C'est un mot imprimé expliquant ma situation en espagnol aux prochains policiers que je croiserai. Le message est très bien construit; y figurent mon nom complet ainsi que le numéro de ma carte d'identité. Puis le corps du texte, à savoir que je m'étais déjà engagée sur le chemin de Compostelle lorsque l'état d'alerte a été déclenché, que je poursuis ma route en respectant les mesures élémentaires d'hygiène imposées par le gouvernement et que j'ai au préalable respecté les quinze jours de confinement.


Je parcourais les lignes avant même qu'Anne puisse m'en faire la traduction et ai tout de suite été interpellée par ce "15 dias". Je lève les yeux vers elles. Et elles répondent alors à la question que je n'avais pas besoin de poser. "Tu pourras rester ici gratuitement pendant tout le confinement". J'étais tellement touchée et tellement énervée de ne pas savoir dire autre chose que Muchas gracias. Elles m'ont répondu que c'était normal, que la situation était exceptionnelle et que j'aurais sans doute fait la même chose pour elles. Ça c'est sûr, mais quand on le fait pour nous, on se dit que ça ne va jamais de soit.


J'ai une application qui m'envoie de manière aléatoire, un verset de la Bible par jour (oui je sais, je viens d'en choquer plus d'un, qu'importe). C'est amusant parce que celui du jour était précisément : "Heureux ceux qui témoignent de la bonté, car Dieu sera bon pour eux". Matthieu, chapitre 5, verset 7. La coïncidence me cloue le bec et paralyse ma plume.


Ma mère aussi les remercie, elle est rassurée de me savoir en sécurité, même si je suis loin et paumée dans mes montagnes espagnoles. On compte bien les accueillir en Alsace et leur faire découvrir nos marchés de Noël !


Me voilà donc recluse dans cet appartement dans lequel je me suis immédiatement sentie chez moi, pour les quinze prochains jours. Il est l'heure de se retrousser les manches. Cela ne fait que quinze jours que je suis partie du Trocadéro mais j'ai l'impression que ça fait beaucoup plus, tant je me suis coupée du monde.


Tandis que mon ermitage (ce terme désigne en fait un lieu et non un état mais vous m'aurez quand même comprise) physique commence, il est temps que mon ermitage intellectuel prenne fin. C'est parti pour une bonne séance d'informations, j'en prends de tous les côtés, les onglets deviennent minuscules tant ils sont nombreux. Bien sûr les nouvelles ne sont pas bonnes. Fermetures des frontières un peu partout dans le monde : logique, il faut bien empêcher la propagation. Le nombre de cas recensés et de morts fait peur. L'obligation dans plusieurs pays de choisir qui sauver et qui laisser mourir, tout bonnement une horreur. Les pires chutes boursières enregistrées depuis un siècle : étonnamment c'est ça qui me fait dire que c'est le chaos dehors, plus que le nombre de morts et je le déplore. Je cherche à comprendre pourquoi cette chute historique et ne trouve pas de réponse qui me satisfasse pleinement. Il n'y a pas besoin d'être un expert en macroéconomie pour comprendre que si les gens sont confinés chez eux, ils ne consomment pas, ce qui a forcément un impact sur l'économie mais tout de même...


Pour le coup, c'est exactement ce qu'il se passe avec l'or noir. La Chine, plus gros demandeur en la matière, est paralysée donc forcément a moins de besoin. Restait à savoir comment les deux géants du secteur, la Russie et l'Arabie-Saoudite allaient s'organiser pour faire face à la situation. Le sud voulait produire moins pour maintenir le prix. Le nord a préféré produire de la même manière en se contentant d'un prix de vente moindre. La raison ? Faire au passage un doigt d'honneur aux Etats-Unis qui eux, ne peuvent pas produire leur pétrole de schiste à un prix plus bas. Quoi qu'il en soit, ce fut un mauvais choix puisque l'Arabie-Saoudite a décidé de surenchérir ou plutôt de sous-enchérir et produit des quantités énormes à un prix encore plus bas que celui proposé par la Russie, d'où la chute du cours du pétrole. Si l'on y jette un coup d’œil rapide, l'on pourrait croire que c'est génial puisque ça va diminuer le prix à la pompe mais je ne peux m'empêcher de me dire que ce n'est pas si simple. Tout est question d'équilibre, les prix s'effondrent, il y aura sans aucun doute des conséquences autres que sur nos porte-monnaies. J'appréhende de voir lesquelles.


Pour ce qui concerne les autres cours en chute, je ne demande qu'à ce que l'on m'explique car de ce que j'ai trouvé, la réponse est franchement décevante. En somme, il suffirait qu'un acteur économique retire ses œufs du panier par crainte de l'avenir, pour que les autres suivent comme des moutons, ce qui provoque justement la chute. Ainsi encore une fois, la volonté de se préserver individuellement sans se soucier de l'intérêt général provoque justement la situation que l'on redoutait. Ou comment l’égoïsme nous pousse à scier la branche sur laquelle on est assis.


J'appréhende également de voir les conséquences des mesures évoquées dans l'allocution de Macron. En effet, rappelons qu'est mis en place un incroyable soutien de l'Etat français aux entreprises, en matière de prêts bancaires, à hauteur de 300 milliards. A cela il faut rajouter, les exonérations des dettes fiscales et sociales accordées aux plus petites entreprises (quand d'autres devront se contenter de reports), ce qui réduira considérablement les rentrées de trésorerie de notre Etat providence. Ajoutons également, le fonds de solidarité aux commerçants, artisans et entrepreneurs abondé par l'Etat et auquel il sera seulement proposé aux collectivités locales de participer.


Nous serons au rendez-vous pour que notre économie soit préservée dans cette période si dure. Certes et c'est admirable, mais qui va payer les pots cassés ? Et avec quel argent ? Encore un emprunt auprès de banques centrales, que ce soit française ou européenne ? Un emprunt de plus venant augmenter la dette de notre pays ? Je me rappelle que mon prof de finances publiques à la fac m'avait choquée avec cette simple phrase : "nous ne créons même pas assez de richesse sur une année, pour rembourser les intérêts de notre dette". Ainsi il y a déjà des années (et oui bon sang, les bancs de la fac ça remonte maintenant), nous ne parvenions pas à commencer à rembourser le cœur de la dette, et aujourd'hui il semble que nous allons encore l'augmenter. Comme si nous estimions ne jamais devoir y faire face.


Je ne suis pas l'une de ces "faux-sachant" ou "demi-experts" qui veulent créer la panique. Non, je ne sais rien, je ne suis experte en rien, je me pose simplement des questions, comme toujours. "L'information est transparente". Sur les conséquences pas vraiment, mais après tout, ils doivent compter sur le fait que seule la situation des prochaines semaines nous préoccupe.


Pourtant, même Macron semble évoquer cet avenir incertain puisqu'il dit que "Le jour d'après ne sera pas un retour au jour d'avant. Nous aurons appris et je saurai en tirer avec vous toutes les conséquences". Prend-t-il la pleine mesure de ce que cette phrase implique ? S'il ne fait allusion qu'à une crise sanitaire, c'est décevant. S'il fait allusion à un modèle économique à bout de souffle, ça impose le respect. Quoi qu'il en soit, il appelle à retrouver "ce sens de l'essentiel". C'est beau, bien plus beau qu'il ne le soupçonne je crois. L'essentiel, c'est l'entraide et j'en ai la parfaite illustration ici, dans mon coin de paradis.






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