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  • Photo du rédacteurTiphaine Dechipre

Jour 12 : Deba. 73km. Total : 953 km.

Le jour se lève et avec lui, une certaine appréhension. Je ne suis pas très loquace alors que je n'ai pourtant pas grand chose en tête. On mange nos Miels pop's et on range. Je prends quand même le temps d'aller sur l'ordinateur pour un petit point GPS.


Google Maps m'annonce un temps de trajet moindre par rapport à Géovélo alors qu'il est sur le mode vélo, je ne me fais pas prier et choisis ce parcours. Je suis abasourdie qu'il n'existe pas un GPS dédié spécialement au chemin de Saint-Jacques mais tombe quand même sur un itinéraire à télécharger au format GPX (je n'avais jamais entendu parlé de ce terme). Une fois la chose téléchargée, encore faudra-t-il l'ouvrir avec une application sur le portable. Je regarde ce qui se fait en la matière et télécharge. La première application s'ouvre, je peux programmer l'itinéraire retour mais pas l'aller, un concept ! Cette merveilleuse appli me propose de me générer des stats sur mes sorties vélo, j'en rigole tant c'est inutile. Et une appli bouffant de la place sur mon portable pour rien, une ! Pour ce qui est du téléchargement de la carte, je clique sur le lien donné sur un site dédié aux chemins de Compostelle, et tombe sur le site de Garmin. Étrangement, arrivée là je peux acheter des montres connectées, des GPS bien sûr, que ce soit pour voiture, vélo ou bateaux, mais à aucun moment je ne peux télécharger la carte tant convoitée.


J'ai toujours su que la technologie et moi, nous faisions deux mais ça me frustrera toujours autant, tant j'y crois à chaque fois. Pas le choix, on va s'en passer, Google Map fera l'affaire. Simon part quelques minutes avant moi, il me laisse les Capri-Sun. Dans la vie normale, il n'en boit pas. On est deux.


Je me mets en route, direction la frontière. Google me fait longer la plage, un régal. J'entends cette voix de robot féminin dans mes écouteurs que je connais bien puisque j'utilise toujours ce GPS à Paris. C'est bête mais ça a un côté réconfortant. J'arrive au bout de la promenade, je vois que c'est sans issue. Et m****. Ouf, il y a un ascenseur pour les vélos. Je peux visiblement compter sur Google Map, ça rassure.


Je continue jusqu'à la frontière. Les choses n'ont pas changé durant la nuit, on y rentre toujours à notre guise. Mais là, tout part à volo, plus de musique, et oui il faudra que je m'occupe de ce mode hors connexion de Spotify (mamie je t'ai perdue mais là, c'est compliqué de t'expliquer). Et en prime, Google Map s'arrête. Ça ne vient pas d'eux mais de mon réseau SFR, visiblement pourri.


Et bien, c'est parti pour le faire à l'ancienne, avec les panneaux et l'aide des gens ! Les trois premières personnes auxquelles je demande ne connaissent pas, et moi qui pensais que c'était une institution dans le coin, je me suis trompée. Je vois une pierre sur laquelle est gravée le logo du fameux coquillage. Génial mais c'est au croisement de deux routes et il n'y a aucune flèche. Pique nique douille, ce sera toi ! Je suis perdue dans Irun mais parvient tout de même à en prendre plein les yeux tant l'architecture est différente de la nôtre. Je vois un panneau annonçant l'office du tourisme, je me crois sauvée. Manque de bol, elle est fermée.


Je demande ma route à un couple de soixantenaires fringuants. "Ola ! El camino del Norte por favor ?" Ils étaient adorables vous n'avez pas idée. Leur sourire faisait chaud au cœur. Ils ne parlaient pas un mot de français, pas non plus d'anglais et moi, je dois avoir cinq mot d'espagnol dans mon vocabulaire mais on s'est débrouillés. Après s'être mis d'accord entre eux sur le meilleur moyen d'aider cette petite blonde qu'ils avaient face à eux et qui cherchait la direction de Bilbao, ils m'indiquent que je dois faire demi-tour. A droite au rond-point puis après recto, recto, recto ! Ok, ça n'a pas l'air compliqué et bien pourtant, j'ai encore demandé mon chemin à deux reprises avant de me retrouver sur cette route que je ne voulais plus quitter jusqu'à ma destination.


Il s'agissait d'une grande route limitée à 70, le genre que Simon n'aurait jamais prise et le genre que ma mère préférerait que j'évite. Bizarrement, je m'y sentais en sécurité tout simplement parce que je voyais les panneaux vers San Sébastian, ma première étape, défiler. Je trace et dois me rendre à l'évidence: ici, ce sont les voitures qui ont la priorité. A chaque tronçon sans bas-côté, généralement surélevé, je dois prendre la sortie, me taper le rond-point puis remonter sur cette même route. Bref, on ne va pas se plaindre, ça avance. Un peu avant San Sebastian, je suis toujours sur cette même route et passe dans un tunnel, les lumières sur mes roues auront finalement trouvé leur utilité. Je continue puis me fait interpeller par un couple de promeneurs sur le trottoir d'à côté. Toujours pas un mot familier mais on se comprend quand même, je n'ai pas le droit d'être ici. Si je veux aller jusqu'à San Sebastian à vélo, je dois faire demi-tour au prochain rond-point et prendre à gauche. Où ça à gauche ? Mystère ! Je fais donc demi-tour et arrive en effet sur une piste cyclable des plus agréables.


Il est 13h, je me décide à manger mon sandwich. Je réponds au message de mon frère et l'informe que mon GPS m'a lâchée. Il me demande si je veux qu'il me géolocalise, c'est très gentil mais je ne vois pas comment faire et n'ai pas le temps d'apprendre à ce moment-là. En effet je commence à flipper au sujet du timing, San Sebastian n'étant que le premier pallier, à moins de 20 kilomètres du départ. Je repars et continue sur cette piste cyclable censée être limitée à 10 kilomètres / Heure. Impossible, je dois foncer.


Je souhaite une confirmation quant à la direction et demande à deux cyclistes qui avaient visiblement emprunté un chemin boueux. L'un d'eux ne me calcule même pas mais l'autre est bien plus avenant, et agréable à regarder en prime, et m'explique que je dois continuer jusqu'à la plage et suivre la piste cyclable. Ils tracent. Eux, ce sont vraiment des traceurs pour le coup.


J'arrive dans le centre de San Sebastian ou de Donostia, les deux semblant aller de pair. C'est magnifique et ça me conforte dans mon choix de continuer. Ici, le coronavirus semble ne pas exister. Il y a foule dans les rues, les gens sont proches, respirent la santé et la joie de vivre. Le sport est une institution; des dizaines de joggeurs, de cyclistes, de skateboarders et de surfers. J'entends parler français, je ne serai pas la seule ressortissante de notre pays bloquée en Espagne s'ils devaient fermer les frontières.





Je continue, la piste cyclable quant à elle s'arrête. Le chemin est alors constitué d'énormes pavés, je descends du vélo et le pousse. L'on me regarde, 20 mètres plus loin je comprends pourquoi, c'est un cul de sac ! Allez, une petite photo pour se donner une contenance et faire croire qu'on savait très bien ce que l'on faisait. Voilà, le cliché :




J'ai une sale tête mais l'arrière plan se suffit à lui seul. Je fais demi-tour et c'est parti pour l'enfer. Je dois passer de l'autre côté d'une montagne et après je pourrai suivre la côte. Je commence à monter, je lutte, je roule, je marche, je vois le coquillage qui se fait quand même rare il faut le dire, je sais donc que je tiens le bon bout, je continue, il n'y a pas de bas-côté, la route est étroite. Je peux bien créer un embouteillage, ça m'est égal, encore et toujours, ils n'ont qu'à appuyer sur un accélérateur. Heureusement aucun problème à déplorer, il n'y a pas mille voitures, je ne dérange personne. Je grimpe toujours, je m'éloigne de la ville et je commence à fatiguer psychologiquement.


Je ne sais pourquoi car tant que le souffle va, que les jambes marchent, l'on a aucune raison de craquer, l'on a qu'à continuer. Mais c'est dur, et toujours ce timing. L'heure avance et toujours aucun moyen de contacter mon hôte pour la prévenir. Il est très difficile de rendre compte de la réalité de ce que j'ai parcouru aujourd'hui mais je vais le tenter : une montée qui demande un effort même si l'on marchait sans être chargé, des mollets qui prennent cher quand vous poussez le vélo, la joie lorsqu'on y remonte et qu'on donne ce premier coup de pédale qui passe comme dans du beurre puisqu'on est à la plus petite vitesse, mais après 5 mètres la difficulté à nouveau, le beurre se fait pierre et les cuisses prennent cher. Les gouttes perlent sur mon visage, le soleil est de plomb, je sens que je prends un coup de soleil. Ma tête tourne un peu, je ne bois pas assez je le sais, mais j'ai tellement besoin d'avancer. Je ne suis qu'au milieu de cette montagne mais je dois m'arrêter pour me requinquer, même pas cinq minutes, pas le temps. Lorsque je marche, je fais du 5 kilomètres / heure, lorsque je roule je suis à 7. Les larmes commencent à monter sans demander la permission. C'est d'autant plus bizarre que ça va toujours, c'est dur mais j'arriverai tôt ou tard à destination, je n'ai pas peur mais c'est comme ça, je devais en plus de tout ça, combattre ces fichues larmes.


J'ai mis près de deux heures à grimper, le terme est parfaitement adapté, dix fichus kilomètres. Voilà mon enfer, il est magnifique n'est-il pas ?




Arrivée à ce qui s'apparente au sommet (quoiqu'on n'est jamais à l'abris d'une mauvaise surprise), je peux enfin vraiment pédaler. Je croise des bouts de chou avec leurs parents. Le père de famille me fait un grand sourire et me demande si je vais à Santiago. Je n'ai discerné que ce dernier mot mais ça suffisait pour comprendre la phrase. Un "Si", un sourire, puis je trace, toujours ces larmes qu'il faut cacher. En effet, n'ayant pas vraiment conscience d'où je me trouvais, j'y voyais là un signe m'indiquant que je tenais le bon bout. Je continue en priant pour ne redescendre de cette montagne que si c'était pour arriver à destination et ne pas en gravir une autre.


Il est 16 heures et enfin, j'avance réellement. Je dois effectivement descendre, TOUTE la montagne. Ces 40 kilomètres / heures n'auront jamais autant fait plaisir. Mais sans doute pas à mes freins.


Arrivée en bas, je rattrape une route départementale, et c'est parti pour Orio. J'appelle ma maman pour lui demander de trouver le numéro de mon hôte. Rien à faire, elle est introuvable. "Je ne veux pas te faire peur, mais c'est encore à 30 kilomètres". On y est ! Ce n'est pas grave, la route était plus praticable, j'avançais assez bien.


Arrivée à Zarrautz, je pouvais faire un point. Voilà d'où je venais (oui c'est bien le bout du bout qu'il faut regarder) :




Et voilà, où je devais aller :




"Qu'il est loin ton chemin papa, tu devrais t'arrêter dans ce coin". Voilà la chanson que j'avais en tête une bonne partie de la journée. Joe Dassin a en effet créé une chanson de circonstances.


Un peu avant cet endroit, je demande où se trouve Santa Barbara. Je voulais absolument y aller pour y faire une photo et l'envoyer à ma cousine qui porte ce si joli prénom. "A l'intersection à gauche, deux kilomètres et vous y êtes", bien ! J'y fonce. Une côte. Je commence à grimper et je ne sais pourquoi, mon GPS se remet tout à coup à fonctionner, j'entends cette voix dans mes écouteurs. Je sors mon téléphone et regarde. Ma bonne étoile m'indiquait que ce point photo n'était pas du tout sur ma route. Il était 17 heures, je devais encore faire 20 kilomètres, je ne pouvais me permettre de perdre du temps sur une côte de deux kilomètres. La mort dans l'âme, je rebrousse chemin, je voulais cette photo. Déçue de moi j'avance, en ayant pour seul réconfort la certitude que ma cousine elle, comprendrait tout à fait et me dirait que j'ai bien fait. On ira un jour, mais en voiture !


Je poursuis ma route, j'avance. Deba n'est plus très loin, il est 18 heures. J'aurai du retard mais ce sera encore acceptable. Le soleil commence à être fatigué lui aussi :





J'approche de ma destination, je suis environ à dix kilomètres et là, une côte ! Bah voyons ! Je continue et peine moins que quelques heures auparavant, déjà l'inclinaison n'a rien à voir et puis la sensation d'être bientôt arrivée, ça vous pousse. Je grimpe, je grimpe. A 18h30, j'entends un appel dans mes écouteurs, je me dépêche, espérant que ce soit mon hôte qui s'inquiète. Je sors mon téléphone. Non, mieux, c'était Simon qui s'inquiétait. Je décroche et explose en larmes et de rire à la fois. Il s'inquiète d'autant plus, pensant qu'il m'était arrivé quelque chose de grave. Non rien de tout ça, je lui dis juste qu'il me reste encore cinq maudits kilomètres avant d'arriver.


- Mais pourquoi ça a été si long ? T'avais que 75 bornes !

- A cause d'une p***** de montagne mon gars, comme on n'en avait pas encore eu ! Deux heures pour la franchir, t'aurais voulu être là pour rien au monde.

- Ahaha comme j'ai bien fait de pas venir ! Allez, force et honneur Tiphaine ! On est des traceurs !


Un dernier éclat de rire et je repars, prête à engloutir ces cinq fichus kilomètres. Et là, la voix du GPS m'indique que je suis bientôt à destination. Si j'avais pu l'incendier je l'aurais fait tant elle m'aura abandonnée pour resurgir une fois le boulot fini. Arrivée dans Deba, je voulais faire une photo devant le panneau mais il était situé à un endroit beaucoup trop dangereux pour un arrêt. Je me contente donc de celle-ci :




De loin cette petite lucarne ronde m'a fait pensé à une bouée de sauvetage. Là encore, c'était parfaitement de circonstances. J'arrive dans le centre et cherche à rejoindre l'adresse du logement. Un passant vient vers moi comprenant que je fais Saint-Jacques, et m'indique que je trouverai un refuge un peu plus loin. C'est gentil monsieur, mais j'espère bien ne pas en avoir besoin et pouvoir investir mon appartement tout confort.


Je fais deux trois petites courses et trouve enfin l'adresse du logement, non sans aide. Arrivée au pied de l'immeuble, reste à contacter la propriétaire. Je vois un groupe de cinq petites collégiennes et m'approche d'elles en leur demandant si elles parlent anglais. Oui. Bénie soit l'éducation nationale espagnole ! Je leur explique que je suis dans la "muerta" et que j'aurais besoin d'un partage de connexion pour pouvoir accéder à mon application Airbnb. Elles m'entourent et m'aident de bon cœur. J'aurais préféré qu'elles se tiennent à bonne distance, non pas pour des considérations de santé publique, mais tout simplement pour ne pas leur imposer mon odeur de chacal faisandé. L'opération prend un peu de temps, aussi je leur demande si elles sont dispensées d'école. Oui pendant deux semaines dans un premier temps mais ce ne sont pas des vacances, elles ont beaucoup de devoirs à la maison.


J'obtiens enfin le numéro tant recherché et les laisse gérer la conversation, elles m'accompagnent jusqu'à la porte qui s'ouvre pour moi. Des amours, ces filles. J'arrive dans le logement. Je prends une douche s'apparentant d'avantage à une bénédiction, il n'y a plus d'eau chaude, il est temps de sortir. Je mange un bol de Chocapic. Je sais, ça n'a rien d'équilibré mais étant toute seule, et après cette journée, j'avais la flemme de cuisiner et l'assume pleinement. Et puis, un bol de Chocapic c'est réconfortant et ça, ça requinque encore davantage qu'un plat de pâtes.


Je regarde le trajet de demain. J'avais prévu d'arriver à Bilbao mais m'arrêterai à mi-chemin. 75 kilomètres dans ces montagnes, je ne peux pas dire que c'est impossible puisque je l'ai fait aujourd'hui, mais ça s'en approche. J'ai prévu 45 kilomètres afin de gagner Marmiz et serai quand même étonnée d'arriver tôt. J'y ferai une halte d'une nuit supplémentaire afin d'étudier la suite des événements, rendue compliquée du fait de la fermeture de... tout en fait. Je dois également trouver le moyen d'être géolocalisée pour rassurer ma mère et enfin, je dois découvrir où je peux faire tamponner ma Crédencial devant attester des étapes traversées sur le chemin, dans la mesure où même les églises sont fermées, bref encore un jour off pour tout ça. Je sais, un vrai luxe dont je pourrais me passer.

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